Je suis tombée sur l’article de Cranemou qui faisait référence à l’article de Marie-Hélène Lahaye qui a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux ces derniers temps.
Je n’avais pas encore eu l’occasion (l’envie aussi peut-être) de le lire parce que j’aime bien faire l’autruche jusqu’à ce qu’un jour, je sorte la tête de mon trou et qu’enfin, je m’informe.
Sur MagicMaman, ils ont également publié des témoignages de suivis gynécologiques vécus comme de la violence morale.
Alors j’arrive un peu après la tempête, j’en suis bien consciente mais je me dis qu’un rappel est toujours le bienvenu.
Alors que je lisais l’expérience de Cranemou, je me suis souvenue de ce que j’ai dit à tous après mon accouchement « non l’accouchement s’est bien passé, c’était long, mais dans l’ensemble ça s’est bien passé« . Et de fait, mon accouchement n’a pas été aussi terrible ni aussi humiliant et frustrant que celui de Cranemou. Je me suis donc toujours demandée si j’avais le droit de m’en plaindre en sachant que d’autres se passaient beaucoup plus mal que le mien.
J’en suis finalement arrivée à un stade où selon moi, ça pourrait toujours être pire et je pars du principe où si ni mon enfant ni moi ne sommes morts finalement, c’est que ça s’est bien passé.
Après en avoir également discuté avec ma sophrologue qui fait ma préparation à la naissance pour ma deuxième, je me suis rendue compte que finalement cet accouchement aurait pu nettement mieux se passer avec un peu de patience et moins de surmédicalisation. Je tiens quand même à dire que malgré tout ce que je vais raconter, il y a eu deux personnes qui ont été humaines et m’ont traitée comme une personne et non pas comme un sac : la gynécologue de garde et une des sages-femmes le soir de mon arrivée qui est malheureusement partie au matin. Bon, c’est long, j’ai pas réussi à synthétiser…
Tout d’abord revenons à mes 6 mois de grossesse, il y a 4 ans.
Cette fois-là, nous nous sommes rendus à l’hôpital où je devais accoucher, pour une réunion d’informations sur le déroulement et tout le processus de l’accouchement, cette réunion devait également nous permettre de poser toutes les questions auxquelles nous ne trouvions pas de réponse.
C’est un hôpital qui a le label « ami des bébés« , ce label je sais ce qu’il signifie en théorie (aide à l’allaitement maternel, peau à peau privilégié, pas ou peu d’épisiotomies, respect de la position) mais je ne sais pas ce qu’il signifie en pratique. Je n’ai jamais entendu aucune différence avec un autre hôpital dans les témoignages que j’ai pu entendre jusqu’ici.
Pendant cette réunion, on nous a diffusé un film, plus parlant sans doute qu’une infirmière ou une sage-femme qui relate ses expériences. Seulement, ils n’avaient plus qu’une cassette, l’autre ayant été perdue : celle des accouchements dits « difficiles » (accouchement en siège, césarienne, cordon bloqué autour du coup, manipulation de forceps, etc). L’infirmière à la fin nous a lancé « bien sûr il n’est pas dit que vos accouchements soient aussi difficiles que ceux-ci !« .
Toutes les futures mamans présentes dans la salle se sont regardées dans un silence de mort. Nous étions toutes à 6 mois de grossesse, c’était trop tard pour rebrousser chemin, c’est vers ça que nous nous dirigions, vers toute cette douleur et cette peine.
Voilà comment j’ai inconsciemment envisagé mon accouchement pendant les 3 derniers mois restants.
Le jour J-1, mon fils avait 5 jours de retard, autant dire que malgré le stress j’étais hyper pressée qu’il sorte. Hâte d’enfin le rencontrer et de le tenir dans mes bras ! Et puis un soir, j’ai senti un écoulement…Je n’étais pas sûre que ce soit la poche qui s’était rompue, ça me paraissait bien peu comparé aux chutes du Niagara qu’on m’avait décrites ! Il était 19h, j’ai appelé la maternité pour savoir ce que je devais faire.
Une sage-femme m’a dit de venir vérifier quand même et m’a demandé de mettre une serviette. A priori rien d’urgent, même si c’est le liquide amniotique, j’ai 1h pour arriver et me rendre à l’hôpital qui est à 20 min à pieds de chez moi. J’appelle mon mari qui me rejoint et nous partons tous les deux.
Arrivés sur place, on me demande de donner ma serviette hygiénique pour savoir si c’est bien du liquide amniotique que je perds. Ils veulent l’analyser directement sur la serviette. Ok, moi j’y connais rien, je m’exécute. On me dit que si ce n’est pas ça, je devrais rentrer chez moi.
On me dit d’aller marcher dans les couloirs pour accélérer le travail. J’arpente le seul couloir en écoutant les femmes hurler, en allant voir la salle d’opération pour les césariennes qui est ouverte. Bon mood, quoi.
Une heure plus tard, ça ne va pas avec la serviette, il y a trop de produits chimiques dessus et ils ne sont pas sûrs que ce soit bien du liquide amniotique. Ils me demandent ce que ça pourrait être d’autre…euh…bah je ne sais pas je ne me suis pas mis de bouteille d’eau dans le vagin non plus, donc à part ça je ne vois pas. J’ai l’impression qu’on me prend un peu pour une conne. On me dit que mon col est à peine à 1. J’explique que j’ai des contractions depuis deux semaines toutes les 20-30 minutes mais qui sont apparemment inefficaces.
Après un frottis fait avec toute la bonne volonté du monde, ils décident de me mettre sous monitoring le temps de recevoir les résultats. Je n’en décollerais que le lendemain.
Le verdict tombe : c’est bien du liquide amniotique, la poche s’est juste fissurée, il va falloir attendre pour voir ce qu’il va se passer maintenant.
On me place dans une salle d’accouchement, mon mari sur un siège. Il doit être 22h et quelques. On m’explique : Si la poche ne s’est pas rompue cette nuit et si les contractions n’ont toujours aucun effet, dans 12h donc vers 10h du matin, on me ferait une perfusion d’ocytocine pour accélérer le travail.
Ok. Je comprends. En attendant, on me colle sous antibios sous perfusion et mon ami le monitoring refait surface.
Je le garderai jusqu’au lendemain avec le coeur, les mouvements de mon bébé et les alarmes quand on le perd en Dolby Surround THX qui m’empêchera bien évidemment de fermer l’oeil de toute la nuit.
A 8h du matin, je suis épuisée, je n’ai pas dormi du tout, on me demande pourquoi je ne me repose pas en plaisantant sur le fait que ce n’est pas après que je pourrai me reposer. Docile, je souris entre deux contractions.
On m’autorise enfin à me lever avec ma perf et à prendre un petit déjeuner, on me dit que ce sera probablement la dernière fois que je mange et que je bois et que je dois en profiter. Ca sonne comme le dernier repas d’une condamnée. J’aurais préféré autre chose que de la bouffe d’hôpital comme dernier repas mais j’ai tellement faim depuis la veille que tant pis, je mange.
Mon répit durera 2h, je rebondis sur la balle, je plaisante avec mon mari, j’ai de plus en plus de contractions mais quand une autre sage-femme vient vérifier mon col, il n’a bougé que d’1cm. Je désespère. Elle me dit que je vais avoir droit à ma perfusion d’ocytocine.
Je ne sais pas si je dois être joie ou m’inquiéter. On m’a déjà dit que ça rendait un accouchement plus douloureux. Je comprends bien aussi avec leurs sous-entendus que je prends la place de quelqu’un d’autre à squatter là depuis la veille et qu’il faudrait peut-être que ce bébé sorte un jour, que ce serait mieux si c’était aujourd’hui…
Moi aussi, je veux qu’il sorte. Et je n’y connais rien, alors je laisse faire…
Je ne peux plus sortir de mon lit une fois les perfusions faites, on me colle de nouveau sous monitoring. Je demande à baisser le son, mais dès qu’on perd le signal, une nouvelle infirmière revient et le remonte parce qu’ils doivent l’entendre de dehors. Je ne dis rien. C’est pour la sécurité de mon bébé, je crois.
A 3cm, on me demande si je veux une péridurale. Les contractions commencent à être vraiment fortes et je suis tellement fatiguée que j’accepte, je me dis qu’un peu de répit ne me fera pas de mal…alors que je comptais faire sans au départ.
L’anesthésiste arrive visiblement entre deux opérations, pressé et de mauvais poil, il me demande de faire le dos rond, je n’y arrive pas parce que j’ai une contraction pile à ce moment-là. Il s’impatiente et me dit qu’il était en salle d’opération, qu’il ne peut pas rester longtemps et me pique pendant la contraction. Je sursaute, il m’explique brièvement comment je dois me servir de la pompe et s’en va aussi rapidement qu’il est arrivé. La pompe, comme bouée de secours dégonflée, restera collée à mon pouce jusqu’à la fin.
Le répit dure une demi-heure. Pendant une demi-heure, je sens un soulagement dans mes reins. Enfin ! Ca ne me pèse plus !
Et puis insidieusement, ça recommence. Les douleurs reviennent petit à petit, j’ai mal de plus en plus régulièrement, je demande à une sage-femme si c’est normal d’avoir mal quand même malgré la péridurale, elle me dit que non et me demande si elle doit rappeler l’anesthésiste…ce à quoi je ne sais pas trop quoi lui répondre. Je lui dis que si ça ne la dérange pas, je préfèrerais. Je m’envoie des doses de cheval inutiles avec la pompe. Une autre sage-femme vient me voir et regarde mon col, il est à 5cm. On n’y est pas encore.
Je me rappelle de ce que ma sage-femme m’avait dit : 1cm par heure en temps normal. Il me reste donc encore 5h à tenir ! Il est 17h…je suis éreintée, fatiguée, je n’en peux plus ! Mon mari me masse le dos pour essayer de me détendre, il voit alors que mon dos est recouvert de plaques mais s’abstient de m’en faire part pour ne pas me rajouter encore plus de stress. Je fais donc en plus une allergie à la péridurale. Formidable.
Je suis coincée sur le côté, je n’arrive plus à bouger, personne ne vient me voir pendant au moins 3h. Je pleure de douleur. L’anesthésiste revient et me remet une dose qui n’a pas plus d’effets que la première. Il ne dit rien et s’en va.
Je ne fais que pleurer et me crisper, les douleurs sont insupportables, je n’imaginais pas que ce soit si douloureux ! Pourquoi la péri ne fonctionne pas ? Pourquoi j’ai si mal ? C’est de ma faute c’est ça ? C’est à cause de mes contractions qu’il a foiré son coup ? Je n’ai pas été suffisamment obéissante et je suis punie ?
La gynécologue de garde vient enfin me voir et me dit qu’elle sait que ça fait des heures que je suis là, qu’elle sait que c’est dur. Je lui demande une césarienne tellement je suis fatiguée, je ne me rends plus compte de rien, je veux juste que ça s’arrête, elle me dit que non, qu’il sortira mais que je dois être encore patiente. Que je suis bien courageuse ! Qu’est-ce que j’en ai à faire du courage ? Qu’est-ce que ça peut lui faire à mon gamin que je sois courageuse ? T’es gentille mais c’est pas ça qui va le faire sortir !
L’anesthésiste revient, il me refait un troisième boost de péridurale qui n’a toujours aucun effet. Bizarrement il est beaucoup moins sûr de lui que tout à l’heure et il me dit même dans un souffle « je suis vraiment désolé, Madame« .
On me laisse là dans ma douleur et on laisse mon mari dans son impuissance. Il ne sait plus quoi faire pour m’aider. Une sage-femme entre dans la salle pour y prendre quelque chose et me dit que ça ne devrait normalement plus tarder maintenant…
Je hurle, je me crispe sous une contraction beaucoup plus forte que les autres. Elle me regarde avec des yeux ronds comme si c’était nouveau alors que ça fait plus de 24h que je douille comme une malade.
Elle s’approche de moi et me dit « euh…je vais quand même regarder où vous en êtes !« . Pour la 148è fois depuis 24h, on consulte mon utérus comme une boule de cristal et d’un coup c’est le bouleversement « Madame, on voit la tête, il arrive !« . Branle-bas de combat ! Tout le monde au poste, d’un coup je me retrouve entourée par au moins 8 personnes.
Mais depuis combien de temps il est là ???
Elle me dit « Ecartez les jambes, mettez les sur les étriers !« . Impossible. Je viens de me rendre compte dans l’affolement qu’aucune de mes jambes ne répond plus. Je panique « je ne peux plus bouger mes jambes !« , elles sont toutes les deux paralysées par la péridurale ! On me les soulève comme des morceaux de viande. Génial, en plus je ne peux même pas me mettre dans la position que je veux. En mode éléphante couchée sur le dos. Les 2 fers arrière qui ne répondent plus, la peur dans le regard, le monitoring sur le ventre, on me dit que mon fils est en souffrance, qu’il doit sortir.
Ah bon ? je n’avais pas remarqué !
On me dit de pousser. Je me souviens que ma sage-femme m’avait dit de pousser pendant une contraction pour plus d’efficacité. Je dis que je n’en ai pas, je ne sais plus comment je dois faire pour pousser ! Les sage-femmes s’impatientent et me donnent l’injonction de pousser…
Une contraction vient tout de suite après, je pousse mais je ne sens rien de ce que je suis en train de faire. Il n’y a pas que mes jambes qui sont bloquées, j’ai l’impression que toute la zone périnéale l’est aussi. Je dis que je ne sais pas si je pousse ou pas, on me dit que si, que je dois continuer comme ça. Je dis que j’ai une contraction qui arrive, une sage-femme regarde le monito et me dit que non, elle n’en voit pas, je lui soutiens que si, que je sais quand même ce que je sens quand ça me fait mal (la seule parole sensée que j’ai eu pendant tout l’accouchement) et que je m’en fous, je pousse. On me dit que sa tête a du mal à passer, qu’il fait des va-et-vient, qu’il faut couper pour le laisser passer.
Je me souviens alors de cette réunion à 6 mois de grossesse où ils nous avaient dit qu’ils préféraient ne pas couper et laisser l’incision se faire d’elle-même, naturellement, si incision il doit y avoir. Cette sage-femme là n’a pas dû y assister vraisemblablement. Heureusement, je ne sens rien (je le sentirai après), je dis que je dois pousser encore, cette fois on m’écoute, la troisième poussée est la bonne, il sort d’un seul coup comme une anguille glissante, je l’entends à peine gémir, un petit son, on me le met directement sur moi. Mon mari qui voulait couper le cordon n’a pas le temps ni l’occasion, on ne lui demande rien, on le fait à sa place.
Je le sers, il est là dans mes bras, je regarde l’heure, il est né à 21h45. Soit 25h après mon arrivée à la maternité. Je l’aime déjà tellement. Et j’oublie tout. Tout ce qui s’est passé avant. J’oublie.
Une sage-femme me recoud pendant ce temps. La gynéco de garde qui était restée là me dit « vous voyez, ça a été long, mais ça s’est bien passé« . Ce sont sans doute ses mots à elle que j’ai repris par la suite.
2h plus tard, après avoir cajolé notre bébé, lui avoir donné le sein et l’avoir détaillé dans son ensemble, on me demande de changer de lit. La péridurale fait toujours effet sur mes jambes et elle fera effet encore jusqu’au lendemain, ce qui m’empêchera de me lever pour faire quoi que ce soit. J’ai du mal à me mettre dans mon nouveau lit, celui qui a des barrières et qui m’emmènera vers la prison qui sera mon nouveau chez-moi pendant 4 jours : la maternité.
Cette même maternité où on me laissera dans le noir dès mon arrivée pendant des heures, d’où on renverra mon mari chez nous manu militari à peine installés dans la chambre, où personne ne m’a jamais soutenue malgré un démarrage d’allaitement difficile à part me filer des sachets de tisane au fenouil et me prêter un tire-lait, où on appuyait sur mes seins douloureusement pour faire sortir le lait, où le personnel se fichait de savoir si les 20 personnes présentes toute la journée qui venaient voir ma voisine me dérangeaient ou pas alors qu’à cette même réunion des 6 mois de grossesse on nous avait assuré que ça n’arriverait pas, où les enfants de la dite voisine ouvraient mes rideaux de séparation pour voir « ce que faisait la dame » alors que je tirais mon lait, où j’ai erré dans les couloirs vides la nuit après avoir appuyé sur tous les boutons à ma disposition et avoir appelé tous les numéros que j’avais avec mon môme hurlant de faim parce que mon sein ne lui suffisait pas et que personne…PERSONNE ne m’a apporté de quoi le sustenter pendant 1h ou n’est venu pour me rassurer, oui cette même maternité où on me demandait pourquoi je pleurais tout le temps, où on m’interdisait de rentrer chez moi parce que je n’avais toujours pas eu ma montée de lait, où je n’ai jamais vu la même personne deux fois, où le label « ami des bébés » n’était définitivement pas le label « ami des mamans ».
Quand je me suis hissée sur l’autre lit après mon accouchement, c’est en voyant tout le sang qui avait tâché le lit, ce sang qui était le mien qu’on avait fait couler en me charcutant le vagin, que j’ai dit « Oh mais j’ai perdu vachement de sang, j’ai sali tout le lit !« .
Et bêtement, par réflexe sans doute, je me suis excusée.
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