Tag Archives: drama-queen

La hiérarchie des serviettes

17 Mar

Ce soir, alors que mon fils tentait encore de s’essuyer la bouche pleine de soupe avec le revers de sa manche et que mon mari se jetait sur un essui en papier pour éviter un drame vestimentaire et éducationnel, je me suis revue moi, petite.
Assise sur une chaise qui n’était pas la mienne, assise à une table qui n’était pas celle à laquelle je m’asseyais habituellement pour manger avec ma famille, qui d’ailleurs était remplacée par d’autres gens que par ma famille.

C’étaient des amis, je pense. Mon souvenir est assez flou, il me semble que ces personnes étaient amicales et m’avait accueillie à leur table pour la soirée. Je devais sans doute être amie avec la petite fille au visage dilué dans les brumes mais elle me semblait familière.

Les parents mettaient la table et tout se passait bien, je savais que j’allais bien manger, le papa cuisinait plutôt bien, je crois. Et puis c’était l’aventure de manger ailleurs le temps d’une soirée, peut-être même allais-je rester la nuit, qui sait ? Peut-être même allais-je y rester la vie si je me débrouillais bien ? Finalement, j’étais bien dans cette famille, un papa, une maman, une copine toujours avec moi, ma mère n’habite pas loin j’irai la voir de temps en…

Et là, c’est le drame.

A côté de chaque couvert se retrouvait posée…la serviette en tissu individuelle. Celle qui est entourée par le petit rond de serviette personnel en bois. Celle que tu laves tous les 3 jours, peut-être, en espérant arriver à enlever ces tâches de tomate, celle que tu essaies d’éviter de tâcher justement pour ne pas avoir à la laver trop souvent, celle qui parfois revêt même tes initiales. A côté de chaque couvert. Sauf les miens.
Moi j’avais eu droit à une feuille de Sopalin.

Peut-être un jour mon prénom là à côté de Bob le builder…

Je me souviens de cet espoir naissant de faire partie de cette famille parfaite aux ronds de serviette personnalisés et m’être dit que si un jour je parvenais à avoir ma propre serviette individuelle chez quelqu’un, c’est que j’y serais intégrée et considérée comme un membre de la famille.

Je ne sais pas pourquoi ce besoin de m’intégrer à une famille autre que la mienne. Chez nous, on utilisait des feuilles de Sopalin aussi, alors je ne comprends aujourd’hui absolument pas comment ni pourquoi j’ai pu me sentir aussi offensée par cet affront. Je ne suis d’ailleurs pas restée chez eux, ils n’auront eu que ce qu’ils méritent.

A partir de ce jour, je considérais que ceux qui ont des serviettes en tissu et des ronds de serviette font donc partie de cette caste dont je ne pourrais hélas jamais faire partie, comme si je n’étais qu’une mendiante à cette table et qu’ils étaient mes maîtres (oui j’étais un peu drama-queen sur les bords à 7 ans).

LE rond de serviette.

Bien des années plus tard, je suis allée à un souper dans la famille de mon mari. J’y allais seule avec mon fils qui était encore bébé et au moment de mettre la table, on me donna…les serviettes en tissu, censée savoir laquelle était à qui, je devais deviner à la rondeur du rond de serviette, au motif floral, à carreaux ou uni à quel membre de cette famille chaque serviette était attribuée.
Il y en avait 4. Nous étions 4. Ce calcul était forcément faux.
Je me disais que c’était impossible ! Il y avait forcément une erreur ! Où était ma feuille de Sopalin ? Où était la preuve de mon rang inférieur ? Je perdais alors tous mes repères et m’effondrais littéralement face à un tel dilemme.  (Oui en fait niveau drama-queen, je crois pas avoir beaucoup changé).

Voyant mon désarroi, la maîtresse de maison m’expliqua « oh mets les où tu veux, elles sont toutes propres !« .
Dans une hésitation, je les collais donc à chacun des 4 couverts en me disant qu’elle s’apercevrait certainement de la supercherie, que j’étais une imposteuse, que c’était peut-être un piège et qu’une fois tombée dedans, on allait me jeter les erviettes à la figure, une fois qu’elles seraient sales ! Bref que j’allais tomber en disgrâce d’avoir pu croire un seul instant que j’étais de leur famille, que j’étais intégrée.

N’y tenant plus, la voix coincée dans la gorge, je demandais alors « mais vous êtes sûre que vous ne voulez pas que j’utilise un essui ? Ca vous ferait moins de lessive à faire !« .

« Bah, tu plaisantes ! C’est ta serviette pour ce soir !« .

Ce jour était arrivé. J’étais admise, j’étais l’une des leurs, j’étais de leur famille parce que j’avais ce soir-là moi aussi ma serviette en tissu, moi aussi je pouvais si je voulais baver dedans et m’essuyer les yeux, le nez, la bouche, cette serviette était à moi…A MOI !!!!!!!!!!

« C’est MA boule de neige ! » me réveilla en sursaut mon fils qui roulait sa feuille de Sopalin en boule pour faire semblant de la lécher.

Mon mari me voyant babine retroussée et bave au coin des lèvres me demanda si ça allait. Je regardais avec désespoir le rouleau presque vide des essuis en papier, en sentant mes souvenirs exhumés repartir vers le brouillard.

Y’a des gens qui ont des serviettes en tissu, lui ai-je dit, et même des ronds de serviette à eux !

Oui, me répondit-il…et d’autres qui ont des feuilles de Sopalin !
Et se retournant vers notre fils « tant qu’on s’essuie pas avec le revers de sa manche, hein bonhomme !!! »

Ce fut une vraie révélation.
Plus de 20 ans de conviction d’une hiérarchie des serviettes, envolée d’une simple phrase, d’une évidence.
Oui, finalement, tant qu’on ne s’essuie pas avec le revers de sa manche, tout va bien.

Voilà. Là, c’est plus Karcher qu’il faut.

Et vous, vous êtes une famille Serviettes en tissu et ronds de serviette ou Sopalin ?